Cette thèse s'intéresse à la spectature-en-progression, c'est-à-dire à l'activité perceptive et cognitive du spectateur. En fait, il s'agit de reprendre à la base le programme initial de la sémiologie — le fameux «comprendre comment le film est compris» — afin d'étudier le parcours qu'effectue le spectateur tout au long d'un film fictionnel et narratif.
La première partie de la thèse questionne les principes que la narratologie cinématographique comparée a empruntés à la linguistique structurale. D'une part, l'analyse benvenistienne de l'énonciation donne préséance aux instances racontantes, instances qu'on pose a priori afin de comprendre l'«ordre des choses en soi». D'autre part, l'étude genettienne du récit consiste en une étude à partir de l'histoire, c'est-à-dire à partir d'un ensemble d'événements déjà racontés et (ré)arrangés dans un ordre chronologique. Dans un cas comme dans l'autre, ces approches ont laissé en plan et le spectateur et son parcours.
Parce qu'il appert difficile de comprendre «comment le film est compris» sans accorder de l'importance aux aspects cognitifs de l'activité spectatorielle, la seconde partie de la thèse tire profit des recherches effectuées en sciences cognitives. Je me préoccupe alors de la propension du spectateur à l'organisation narrative, de ses connaissances schématiques, de ses horizons d'attente, de son travail mémoriel, de ses anticipations et de ses modes de perception et de traitement de l'information. Encore toute récente dans le champ cinématographique, l'application des concepts et des notions de la science cognitive permet d'actualiser et de jeter un regard nouveau sur la réception du film. L'étude montre clairement que la compréhension du cinéma narratif repose sur tout un savoir préalable. Déplacée ainsi de l'énonciation vers la cognition, la spectature se définit comme une interaction avec le film.
Enfin, la dernière partie de la thèse emprunte une avenue théorique que les études cinématographiques n'ont pour ainsi dire pas explorée : la notion de jeu. Parce qu'il n'a pas de matière et qu'il oblige la reconnaissance de l'esprit, le jeu permet de prolonger les réflexions de la seconde partie. Conséquemment, en reprenant l'héritage de la théorie philosophique du jeu (Johan Huizinga, Roger Caillois et Hans-Georg Gadamer), il s'agit de définir les traits et les principes constitutifs de l'activité ludique instituée par le cinéma narratif et de se référer, suivant Gadamer, à une ontologie du film basée sur le jeu. Les films fictionnels et narratifs sont alors considérés comme des parties-jeux et sont répartis entre deux pôles : un pôle ludus-ilinx favorisant le plaisir gratuit de la vitesse et du vertige et un pôle ludus-agôn qui nécessite que le spectateur se creuse les méninges afin de comprendre une intrigue. Par ailleurs, en acceptant de prendre part à une partie-jeu, le spectateur se plie d'une façon ou d'une autre à un système de règles. Je propose un système composé de quatre règles : la règle de l'attention, la règle de la signification, la règle de la configuration ainsi que la règle de la cohérence. À travers cette régulation, l'activité perceptive et cognitive du spectateur se transforme en pure tâche ludique.