Approche ludique du cinéma
Projet sous la direction de Bernard Perron (2001-2004)
C’est la spectature-en-progression qui sous-tend ces recherches, à savoir l’activité perceptive et cognitive qu’effectue le spectateur tout au long d’un film de fiction narratif. L’application de concepts et de notions de la science cognitive introduits en études cinématographiques a permis d’actualiser et de jeter un regard nouveau sur cette activité. Plus particulièrement, ce programme de recherche a emprunté une avenue théorique encore inexplorée en études cinématographiques : la notion de jeu. Il a souhaité fonder les assises de l’analogie très fconde entre le cinéma narratif et le jeu, entre autres grâce à la constitution d’un fonds documentaire.
Le jeu constitue un terrain fertile pour étudier l’interactivité cognitive entre le film et le spectateur. Car à tout prendre, avec la ludification actuelle de la culture, le spectateur contemporain n’est finalement rien d’autre qu’un spectator ludens. Les films fictionnels et narratifs ont donc été considérés comme des partiesjeux et répartis entre deux pôles : le pôle ludus ilinx — largement représenté par les films à grand spectacle — et le pôle ludus agôn — regroupant les films aux récits plus alambiqués. Dans la mesure où l’utilisation de la notion de jeu afin de mieux cerner la spectature-en-progression et le cinéma narratif implique toujours un recul certain et que la résolution de l’énigme ou la découverte de la clé du mystère s’effectue toujours au second degré, ce programme de recherche s’est aussi intéressé aux hypertextes multimédias narratifs qui transforment littéralement le spectateur en joueur. Il a amorcé l’analyse d’un corpus de films interactifs.
Subvention Conseil de recherches en sciences humaines du Canada (CRSH) : Pour une approche ludique du cinéma (2001-2004)
Subvention Fonds pour la formation de chercheurs et l’aide à la recherche (FCAR) : La spectature, une activité ludique (2001-2004)
Auxiliaires
- Sébastien Babeux (2001-2004)
- Vincent Chouzenoux (2002-2004)
- François Lévesque (2003-2004)
- Carl Therrien (2001-2004)
– Base de Données : Bibliographie Cinéludique
LIVRES ET PÉRIODIQUES
Chapitres de livre et articles
Perron, Bernard, et Martin Picard. 2015. « Petit guide en six termes pour survivre à l’approche théorique des relations entre le jeu vidéo et le cinéma ». Dans Alexis Blanchet (dir.), Cinéma et jeu vidéo, p. 24-37. Paris : Questions Théoriques.
Perron, Bernard. 2008. « Dal film al gioco: l’esperienza forzata di paura ». Dans Matteo Bittanti (dir.), Schermi interattivi. Saggi critici su videogiochi & cinema, p. 233-259. Rome : Meltemi.
Perron, Bernard. 2007. « Anaconda, a Snakes and Ladders Game. Horror Film and the Notions of Stereotype, Fun and Play ». Journal of Moving Image Studies, vol. 5, n° 1 (décembre), p. 20-30. [PDF]
Dans un chapitre de son livre Les idées reçues. Sémiologie du stéréotype (1991), Ruth Amossy s’intéresse à l’industrialisation de la peur et associe la fiction d’épouvante au jouer et au jeux. C’est précisément cette relation entre le stéréotype (comme l’a dit Barthes, un monstre se cache derrière chaque signe) et l’esprit ludique que cet article cherchera à préciser. Empruntant des concepts à la cognition sociale, à la psychologie cognitive, aux études littéraires et à la théorie du jeu, il étudiera les détails de cette « répétition à l’intérieur de la diversité qui assure l’effet du stéréotype » (Amossy).
Afin d’y parvenir, cet article procède à une analyse textuelle du film de genre Anaconda (Luis Llosa, 1997). Plus précisément, il dépeint comment ce film, qui introduit un serpent gigantesque en guise de monstre, est construit comme un jeu de serpents et échelles. L’article démontre comment les personnages stéréotypés, dans ce cas-ci l’équipe de tournage documentaire (formée d’une réalisatrice hispano-américaine, d’un directeur photo afro-américain, d’un narrateur britannique et d’un scientifique américain de race blanche), sont des pions que le réalisateur peut « déplacer ». En respectant ou en pervertissant certaines règles du genre – avec lesquelles le spectateur est familier–, ces « déplacements » ont aussi pour fin de faire « se déplacer » ce dernier dans l’espace ou, plus précisément, le terrain de jeu circonscrit par la fiction : le Fleuve de l’Amazone. Par exemple, certains mouvements, que l’on pourrait identifier comme des déplacements-échelles, laisseront les personnages et le récit progresser normalement, alors que les déplacements-serpents élimineront des « pions » ou déjoueront les attentes du spectateur.
En conclusion, l’article montre que cette construction s’applique de manière générale aux films de monstres et d’horreur (l’analogie du jeu de serpents et échelles est évidement applicable sans que le monstre ne soit un serpent) et soulignera finalement que c’est dans un échange ludique que les stéréotypes prennent toute leur valeur.
Perron, Bernard. 2006. « Quand le brouillard se dissipe : Silent Hill, le film ». Ciné-Bulles, vol. 24, n° 4 (automne), p. 42-47. [PDF]
Therrien, Carl. 2006. « Le cinéma sous l’emprise du jeu. Références ludiques et mise au jeu dans le cinéma contemporain ». Dans D. Rivière (dir.), Jeux et enjeux de la narrativité dans les pratiques contemporaines, p. 92-104. Paris : Dis Voir.
Perron, Bernard. 2004. « Pleins jeux sur le cinéma contemporain ». Dans Jean-Pierre Esquenazi (dir.), Cinéma contemporain : état des lieux, p. 293-308. Coll. « Champs Visuels », Paris : L’Harmattan. [PDF]
Cet article interroge les diverses relations entre le cinéma, le jeu vidéo et la notion de jeu en général. Il réfléchit aux changements que celles-ci entraînent sur la production, sur la réception et sur la consommation des films. Si, tel que l’a entre autres souligné Guy Scarpetta, l’avènement de la postmodernité a redonné au ludique la valeur qu’il avait perdue dans le cinéma moderne, les jeux vidéo ont évidemment accentué cette dimension au-delà de toute mesure. « La mode des jeux vidéo, a pour sa part noté Alain Le Diberder, n’a pas seulement dopé l’industrie du cinéma. Elle a imposé un nouveau rapport du spectateur au récit : l’interactivité » (Cahiers du cinéma, n° 503, juin 1996). De la sorte, s’il y a eu un temps où il était pertinent de conceptualiser le spectateur comme un décodeur ou un interlocuteur, il est aujourd’hui nécessaire de percevoir ce dernier comme un joueur. Le cinéma contemporain ne se conçoit plus sans un important rapport au ludique.
Autres publications pertinentes
Arsenault, Dominic, et Vincent Mauger. 2012. « Au-delà de « l’envie cinématographique » : le complexe transmédiatique d’Assassin’s Creed ». Nouvelles vues : revue sur les pratiques et les théories du cinéma au Québec, Le cinéma québécois et les autres arts, n° 13 (hiver-printemps). [En ligne]
Therrien, Carl. 2009. « Making Sens in Ludic Worlds. The Idealization of Immersive Postures in Movies and Video Games ». Actes du colloque DIGRA, Breaking New Ground: Innovation in Games, Play, Practice and Theory. West London : Brunel University. [En ligne]
Picard, Martin. 2008. « Video Games and Their Relationship with Other Media ». Dans Mark J.P. Wolf (dir.), The Video Game Explosion: A History from Pong to PlayStation and Beyond, p. 293-300, Westport : Greenwood Press. [PDF pré-publication]
Picard, Martin. 2007. « Machinima: Video game as an Art form ? ». Loading: Journal of the Canadian Game Studies Association, vol. 1, n° 1. [PDF]
Perron, Bernard, et Dominic Arsenault. 2006. « L’empire vidéoludique : comment les jeux vidéo ont conquis l’univers de Star Wars ». Dans Alain Boillat (dir.), Décadrages. Dossier : Le monde de Star Wars, vol.8-9 (automne), p. 98-105.
Perron, Bernard. 1992. « Au-delà de hors-champ : le hors-scène ». Communication, vol. 13, n° 2 (automne), p. 85-97. Québec : Université Laval, Spectateurs.
Mémoires de maîtrise et thèses de doctorat
Picard, Martin. 2009. « Pour une esthétique du cinéma transludique : Figures du jeu vidéo et de l’animation dans le cinéma d’effets visuels du tournant du XXIe siècle ». Thèse de doctorat, Université de Montréal (non-publiée). [PDF]
Babeux, Sébastien. 2004. « L’interférence dans le cinéma postmoderne ». Mémoire de maîtrise, Université de Montréal (non-publié).
Perron, Bernard. 1997. « La Spectature prise au jeu. La narration, la cognition et le jeu dans le cinéma narratif ». Thèse de doctorat , Université de Montréal (non-publiée). [PDF]
Cette thèse s’intéresse à la spectature-en-progression, c’est-à-dire à l’activité perceptive et cognitive du spectateur. En fait, il s’agit de reprendre à la base le programme initial de la sémiologie — le fameux «comprendre comment le film est compris» — afin d’étudier le parcours qu’effectue le spectateur tout au long d’un film fictionnel et narratif.
La première partie de la thèse questionne les principes que la narratologie cinématographique comparée a empruntés à la linguistique structurale. D’une part, l’analyse benvenistienne de l’énonciation donne préséance aux instances racontantes, instances qu’on pose a priori afin de comprendre l’«ordre des choses en soi». D’autre part, l’étude genettienne du récit consiste en une étude à partir de l’histoire, c’est-à-dire à partir d’un ensemble d’événements déjà racontés et (ré)arrangés dans un ordre chronologique. Dans un cas comme dans l’autre, ces approches ont laissé en plan et le spectateur et son parcours.
Parce qu’il appert difficile de comprendre «comment le film est compris» sans accorder de l’importance aux aspects cognitifs de l’activité spectatorielle, la seconde partie de la thèse tire profit des recherches effectuées en sciences cognitives. Je me préoccupe alors de la propension du spectateur à l’organisation narrative, de ses connaissances schématiques, de ses horizons d’attente, de son travail mémoriel, de ses anticipations et de ses modes de perception et de traitement de l’information. Encore toute récente dans le champ cinématographique, l’application des concepts et des notions de la science cognitive permet d’actualiser et de jeter un regard nouveau sur la réception du film. L’étude montre clairement que la compréhension du cinéma narratif repose sur tout un savoir préalable. Déplacée ainsi de l’énonciation vers la cognition, la spectature se définit comme une interaction avec le film.
Enfin, la dernière partie de la thèse emprunte une avenue théorique que les études cinématographiques n’ont pour ainsi dire pas explorée : la notion de jeu. Parce qu’il n’a pas de matière et qu’il oblige la reconnaissance de l’esprit, le jeu permet de prolonger les réflexions de la seconde partie. Conséquemment, en reprenant l’héritage de la théorie philosophique du jeu (Johan Huizinga, Roger Caillois et Hans-Georg Gadamer), il s’agit de définir les traits et les principes constitutifs de l’activité ludique instituée par le cinéma narratif et de se référer, suivant Gadamer, à une ontologie du film basée sur le jeu. Les films fictionnels et narratifs sont alors considérés comme des parties-jeux et sont répartis entre deux pôles : un pôle ludus-ilinx favorisant le plaisir gratuit de la vitesse et du vertige et un pôle ludus-agôn qui nécessite que le spectateur se creuse les méninges afin de comprendre une intrigue. Par ailleurs, en acceptant de prendre part à une partie-jeu, le spectateur se plie d’une façon ou d’une autre à un système de règles. Je propose un système composé de quatre règles : la règle de l’attention, la règle de la signification, la règle de la configuration ainsi que la règle de la cohérence. À travers cette régulation, l’activité perceptive et cognitive du spectateur se transforme en pure tâche ludique.